Traces et contributions

Image : Pixabay.comLorsque nous utilisons l'Internet ou d'autres outils numériques, nous laissons de nombreuses traces qui  sont stockées et analysées par les moteurs de recherche et navigateurs web.

Si historiquement, certains internautes laissent ces traces de manière relativement passive, d'autres contribuent de manière active aux communautés socio-numériques (comme celles d'Ebay, Amazon, Wikipedia, Twitter, YouTube) en laissant des notes, des avis, des commentaires, des classements de produits et services, en mettant à disposition des fichiers. Les internautes et les utilisateurs d'outils numériques deviennent ainsi des producteurs d'informations personnelles.

Quelle est la valeur économique générée par ces contributions ?

Beaucoup d'économistes la sous-estiment. En effet, les contributions individuelles sont à l'origine du développement de compagnies comme Amazon qui guide ses clients à travers les commentaires laissés par d'autres consommateurs, du développement d'eBay qui utilise les notes laissées par ses utilisateurs sur leurs transactions pour construire un système de réputation en ligne, de YouTube qui doit son existence au contenu généré par ses utilisateurs.

C'est là qu'un paradoxe surgit. Si ces contributions individuelles sont si importantes et génèrent autant de valeur économique pour les entreprises qui en bénéficient, pourquoi les contributeurs ne sont-ils pas directement payés pour le service rendu ? En effet, la plupart de ces services sont gratuits pour les utilisateurs qui en échange ne sont pas rémunérés pour leur contribution.

Certains, comme Bernard Stiegler lors de la 4e rencontre de la Chaire du 28 novembre 2013, évoquent différentes formes du travail gratuit, allant de la contribution savante à l’hyperprolétarisation de l’utilisateur au profit de l’entreprise, et craignent l'appauvrissement des savoirs par l'automatisation algorithmique. D'autres, comme Antonio Casilli lors d'un séminaire de la Chaire du 20 novembre 2014, parlent de digital labor et proposent une rémunération universelle inconditionnelle pour les internautes.

A l'opposé, lorsque les internautes partagent des œuvres protégées sans autorisation, une autre piste de réflexion a été lancée lors de la conférence sur la réponse graduée du 10 septembre 2014 organisée par la Chaire : une rémunération proportionnelle au partage pour les ayant droits. Finalement, les discussions que nous menons depuis maintenant plus d'un an offrent de nouvelles perspectives sur les débats autour de la fiscalité du numérique.

De manière plus générale, on peut se demander si les business modèles actuels sont adaptés à la société dans son ensemble. Si non, quelles sont les autres manières de partager la valeur créée par les contributions individuelles ?

Le point de vue de Martin Quinn, qui vient de commencer sa thèse financée par la Chaire, apporte quelques éléments de réponse en analysant les contributions des utilisateurs de produits culturels dans le processus d'innovation et de création. Les nouvelles formes de monétisation de ces contributions sont autant de pistes de réflexion pour mieux comprendre comment partager équitablement la valeur créée par les informations personnelles.

Patrick Waelbroeck
Professeur d'économie industrielle et d'économétrie à Télécom ParisTech et Membre fondateur de la Chaire

Commentaires Clos.