Pierre-Antoine Chardel, professeur en philosophie à Télécom Ecole de Management
L’expansion du numérique dans nos vies appelle des formes de responsabilité qui concernent la signification que nous souhaitons préserver dans le développement de nos sociétés. La question de la protection des informations personnelles est, à cet égard, cruciale dans la mesure où elle concerne la façon dont nous entendons nous inscrire (de manière consumériste ou responsable) dans nos environnements technologiques complexes.
Avec la numérisation, les possibilités d’exploitation des traces que nous laissons au gré de nos activités, est telle, que nous devons redoubler d’attention afin de préserver les valeurs auxquelles nous tenons pour favoriser la vie en commun. Parmi celles-ci, la confiance est éthiquement de premier ordre. C’est une composante essentielle de notre existence individuelle et collective.
Elle garantit une liberté d’être et de conquérir du sens dans nos interactions avec autrui. Notre épanouissement dépend de notre capacité à pouvoir éprouver un tel sentiment. Or, comme ont pu l’observer de nombreux auteurs (tels que Gilles Deleuze, Mark Poster ou Zygmunt Bauman), notre époque est dominée par des dynamiques contradictoires et nous pouvons, d’une part, globalement jouir d’une grande liberté de déplacement et d’expression et d’autre part, nos traces sont susceptibles d’être capturées et exploitées à tout moment. Vis-à-vis de ces tendances, un rapport encore largement consumériste au progrès technologique rend les usagers trop peu conscients des logiques d’instrumentalisation qui se répandent dans la société numérique. En effet, la sensibilisation et l’éducation relatives à ce type de risque demeurent encore très pauvres, voire inexistantes. La perspective d’une dérégulation du marché des données est, quant à elle, particulièrement avancée.
Mais plutôt que de laisser cette tendance l’emporter en risquant d’affecter les bases de nos écosystèmes (dont la confiance est une composante essentielle), il importe, dès à présent, de réfléchir aux conditions d’une appropriation beaucoup plus étendue de nos environnements technologiques en ayant le souci de préserver ce qui nous définit en tant qu’êtres humains, à savoir l’attachement à des principes de liberté, d’autonomie et de responsabilité. Une telle exigence éthique aura un sens si nous nous donnons pour tâche de réfléchir aux contextes sociologiques qui orientent nos pratiques technologiques. Il nous faudra, par exemple, nous interroger sur la façon dont nous pourrons, à terme, sensibiliser les usagers à la problématique des informations personnelles à l’heure à laquelle domine une certaine prévalence pour la visibilité et l’exposition de soi. Il conviendra pour ces raisons de nous pencher autant sur la question de l’appropriation des systèmes techniques eux-mêmes que sur l’économie des affects, les imaginaires sociaux et les représentations qui sous-tendent leurs usages.