Data-brokers et marché de la vente de données

Antoine Dubus, doctorant en sciences économiques au sein de la Chaire VPIP, travaille sur le thème « Protection des données personnelles et concurrence ». Dans ce cadre, il étudie les marchés de vente de données personnelles.

Le récent scandale impliquant Facebook et l’entreprise Cambridge Analytica a mis en lumière les pratiques du réseau social concernant le partage des informations personnelles de ses utilisateurs à des entreprises tierces[1]. En effet, un directeur de recherche travaillant pour Cambridge Analytica a révélé que son entreprise collectait des données en masse sur les utilisateurs de Facebook. Cette collecte, qui n’a pas été effectuée à l’insu de Facebook, a pu influencer le résultat des élections américaines de 2016. Par ailleurs, il s’est avéré que Facebook connaissait depuis longtemps ces pratiques, et que de nombreuses autres firmes collectaient des données sur ses utilisateurs, en accord avec les règles du réseau social.

En particulier, jusqu’à récemment, Facebook transmettait les données de ses utilisateurs aux entreprises historiques de collecte et de traitement d’information, appelées data-brokers (littéralement, courtiers en données)[2]. Peu connues du grand public, ces entreprises qui existent depuis plusieurs décennies sont cependant relativement nombreuses (plus de 4 000) et opèrent sur un marché évalué en 2014 à plus de 156 md $[3].

Les data-brokers les plus importants sont en particulier Axciom, spécialisée dans les recommandations stratégiques aux firmes clientes, et ayant réalisé 880 millions $ de chiffre d’affaires en 2017. Spécialisée dans le conseil pour l’attribution de crédits bancaires et dans les recommandations marketing aux firmes, Experian a pour sa part réalisé en 2017 un chiffre d’affaires de 4.3 milliards $[4]. Ces types d’entreprises ont vu leurs pratiques évoluer rapidement avec l’avènement des techniques de collecte d’information en masse, comme l’illustre leur rapport avec Facebook.

Malgré leur importance économique et le traitement massifs des données personnelles d’utilisateurs de tous services effectués par les data-brokers, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, la littérature économique s’est peu penchée sur les stratégies de ventes et de concurrences de ces entreprises. En conséquence, se pose la question de savoir s’il est nécessaire de réguler ce marché. En Europe, le RGPD entré récemment en application[5] encadre les modalités de la collecte, d’exploitation et de partage des données personnelles des utilisateurs, sans se concentrer spécifiquement sur les pratiques des courtiers de données. Aux États-Unis, seul l’État du Vermont a légiféré en mai 2018, en imposant aux data-brokers une obligation de transparence quant à leurs pratiques et la mise en place d’un programme de sécurité prenant en compte après analyse le degré de sensibilité des données[6].

Notre recherche considère une situation où un data-broker vend à une entreprise des informations personnelles, lui permettant ainsi d’identifier des consommateurs, ce qui nous permet d’étudier les différentes stratégies de ventes adoptées par les courtiers. Cette question est centrale puisque comprendre ces pratiques de vente de données permet de mieux identifier les types de données personnelles ainsi transmises, et donc les catégories de données collectées. La théorie économique permet de mettre en avant un résultat saillant concernant les stratégies de marché : les data-brokers ont tout intérêt à ne pas vendre les informations personnelles relatives à certains consommateurs.

Plus précisément, les consommateurs présentant une forte propension à payer pour un produit sont naturellement ceux présentant le plus de valeur pour l’entreprise vendant ce produit ; les data-brokers vont lui permettre d’identifier ces personnes pour mieux capturer leur demande. A l’inverse, les consommateurs présentant une faible propension à payer présentent moins d’intérêt. Transmettre leurs données aurait pour effet d’intensifier la concurrence entre entreprises, ce qui nuirait à la fois à ces entreprises et aux courtiers.

Le modèle que nous développons suggère donc que les data-brokers vendent de préférence un certain type d’informations personnelles, une part des consommateurs restant non identifiée par les entreprises. Par ailleurs, notre résultat souligne les possibilités de sophistication des méthodes utilisées par les data-brokers. Ces derniers se trouvent ainsi en situation de manipuler la concurrence sur les marchés afin de maximiser leurs profits.


Antoine Dubus, doctorant en sciences économiques au sein de la Chaire VPIP


[1] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/18/comment-une-entreprise-proche-de-la-campagne-de-trump-a-siphonne-les-donnees-de-millions-d-utilisateurs-de-facebook_5272744_4408996.html

[2] https://www.washingtonpost.com/news/the-switch/wp/2018/03/29/facebook-longtime-friend-of-data-brokers-becomes-their-stiffest-competition/?noredirect=on&utm_term=.e1de624a41fa

[3] Pasquale, Frank. The black box society: The secret algorithms that control money and information. Harvard University Press, 2015.

[4] https://www.ftc.gov/system/files/documents/reports/data-brokers-call-transparency-accountability-report-federal-trade-commission-may-2014/140527databrokerreport.pdf

[5] https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees

[6] Act relating to data brokers and consumer protection, May 22, 2018, H. 764 (Act 171), https://legislature.vermont.gov/assets/Documents/2018/Docs/ACTS/ACT171/ACT171%20As%20Enacted.pdf

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