Antoine Dubus, doctorant en sciences économiques au sein de la Chaire VPIP, travaille sur le thème « Protection des données personnelles et concurrence ». Dans ce cadre, il étudie les effets de la concurrence sur la collecte et la monétisation des données personnelles.
Les vagues d’acquisition d’entreprises collectant des données personnelles se sont multipliées ces dernières années, posant la question du lien entre données personnelles et concurrence entre entreprises. L’exemple du rachat de Whatsapp par Facebook est à cet égard emblématique. En 2014, la Commission européenne a enquêté sur la possibilité pour les deux entreprises de croiser leurs bases de données, et ainsi d'accroître la quantité d’information dont elles pouvaient disposer sur leurs utilisateurs[1]. Lorsqu’en 2017 il s’est avéré que Facebook avait délibérément menti sur la possibilité d’associer le numéro de téléphone des utilisateurs de Whatsapp à leur profil Facebook, la Commission a prononcé une amende de 110 millions d’euros[2]. Toutefois, les faits retenus à l’encontre de la société américaine portaient seulement sur le fait d’avoir menti aux enquêteurs, et non sur le croisement des bases de données des deux entreprises. Ces dérives non-respectueuses des données personnelles ont amené le fondateur de Whatsapp à démissionner[3].
En achetant Whatsapp, Facebook a donc pris possession d’une source fiable de données massives concernant un nombre important d’utilisateurs. Whatsapp étant un service gratuit, sans stratégies de revenus en soit, il est clair que la raison même de son acquisition était l’accès aux données personnelles.
La question se pose donc de savoir comment la concurrence entre entreprises, ou inversement leur fusion, affectent leurs stratégies de collecte et de monétisation des données de leurs utilisateurs. Cette question est d’autant plus centrale pour des entreprises comme Facebook ou Google, que leur modèle d’affaire est essentiellement centré sur cette monétisation.
Si la théorie économique offre de nombreux outils permettant de comprendre ces stratégies, le lien entre concurrence entre entreprises et stratégies de collecte et de vente d’information reste cependant peu exploré.
Nous étudions ce lien dans nos recherche, et essayons de déterminer si l’augmentation de la concurrence entre entreprises intensifie ou réduit la quantité de données personnelles collectées, la détention de ces données devenant un facteur de concurrence, au même titre que les prix. Comprendre cet effet est crucial, par exemple lors d’une fusion entre entreprises, où l’impact de cette fusion sur les consommateurs constitue le facteur essentiel pour autoriser ou empêcher la fusion. Nous considérons ensuite les facteurs qui influencent les stratégies de vente d’information en milieu concurrentiel, en particulier si les entreprises vendent l’information plus ou moins activement lorsque la concurrence s’intensifie.
Nos résultats mettent en évidence la complexité du lien entre concurrence et données personnelles. Nous montrons que lorsque le marché est dominé par une entreprise mobilisant un nombre de consommateurs important, la concurrence avec des entreprises disposant de moins de clients va d’une part intensifier la collecte de données personnelles par l’entreprise dominante, et d’autre part diminuer cette même collecte par les entreprises mineures. Le pouvoir de marché de l’entreprise dominante s’en trouve accentué.
Si nous considérons l’impact de la concurrence entre entreprises sur leurs pratiques de monétisation des données personnelles, la théorie économique suggère qu’une concurrence exacerbée entre entreprises s’accompagne d’une intensification des pratiques de partage et de vente de données.
Or, nous constatons que les autorités de régulations de la concurrence s’intéressent uniquement aux effets des fusions sur les prix. Nos recherches démontrent qu’il est primordial de considérer également l’effet « données personnelles ». En effet une fusion entre entreprises monétisant les données personnelles intensifie la collecte de données relatives à certains utilisateurs, et la diminue pour d’autres. A cela s’ajoute le risque non négligeable qu’en croisant des bases de données complémentaires, les entreprises qui fusionnent améliorent de manière exponentielle la précision des données personnelles qu’elles détiennent. On ne peut alors pas ignorer le risque accru d’atteinte au droit de la protection des données personnelles et au respect de la vie privée. Il importe donc que les autorités de régulation de la concurrence et de protection des données personnelles travaillent de concert.
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Antoine Dubus, doctorant en économie à Télécom ParisTech, membre de la Chaire Valeurs et Politiques des Informations Personnelles
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[1] http://ec.europa.eu/competition/mergers/cases/decisions/m7217_20141003_20310_3962132_EN.pdf
[2] http://uk.businessinsider.com/facebook-was-fined-110-million-for-misleading-eu-regulators-over-its-whatsapp-deal-2017-5; Facebook was fined 110 million for misleading EU regulators over its WhatsApp deal; 18 May 2017.
[3] https://www.bbc.com/news/business-43956540; WhatsApp boss and co-founder Jan Koum to quit; 30 April 2018.