La Responsabilité Numérique des Entreprises : une manière d’aborder la question du traitement des informations personnelles
Les 20 et 21 mai 2021, l’Aderse[1] tenait son 17e Congrès sur le thème « Data et RSE : nouveaux enjeux pour le management ? ». Le mois précédent, la Plateforme RSE de France Stratégie[2] avait publié son deuxième avis sur ce qu’elle dénomme la Responsabilité Numérique des Entreprises, ou RNE. Cette manière d’aborder le traitement des informations, notamment personnelles, au travers de la thématique de la responsabilité se développe et couvre un spectre qui inclut le RGPD sans s’y limiter.
Pour en donner d’emblée les contours, la responsabilité sociale des entreprises (RSE), également appelée responsabilité sociétale des entreprises, a d’abord été définie par la Commission européenne en 2001 comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». Cette définition a été révisée en 2011 pour devenir « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société »[3]. Depuis la loi Pacte de 2019 en France et la modification de l’article 1833 du Code civil, l’objet social de toutes les sociétés intègre désormais la considération des enjeux sociaux et environnementaux, que les entreprises se déclarent à mission ou non[4].
L’enjeu du traitement des données en termes managérial au cœur du Congrès de l’Aderse
Les nouvelles possibilités de traitement massif de données fournies aux entreprises par le traitement algorithmique ne sont évidemment pas étrangères aux enjeux environnementaux, mais surtout sociaux, qu’il s’agisse des relations de travail ou des relations avec les clients ou prospects.
Initialement prévu en mars 2020, sur le sujet de l’adaptation du management à cet horizon du traitement des données, le Congrès de l’Aderse ne s’est finalement tenu que plus d’un an après, du fait de la pandémie. Il a été ouvert par le directeur de Institut Mines-Télécom Business School, école partie prenante de la Chaire VP-IP. Autour de deux symposiums et douze ateliers, ce Congrès a permis de présenter quarante-quatre communications en français et en anglais émanant, pour l’essentiel, de chercheurs en sciences de gestion, travaillant de part le monde sur ces questions[5]. La Chaire VP-IP y a été présente dans le symposium introductif et en atelier[6]. Sans prétendre à l’exhaustivité, on portera ici l’accent sur trois points.
Pour le symposium introductif tout d’abord, où intervenaient Christine Balagué (IMT-BS, titulaire de la Chaire « Good in Tech »[7] avec Sciences Po), Christophe Benavent (Université Paris Nanterre), Fabrice Flipo (IMT-BS), Cédric Gossard (IMT-BS, co-directeur du LITEM), Thierry Isckia (IMT-BS) et Valérie Charolles, tous les pans de la RSE vis-à-vis de la « data » ont été traités, qu’il s’agisse des aspects environnementaux ou ceux liés aux relations de travail et aux liens avec le consommateur. La question était de savoir comment les entreprises s’adaptent à ces nouvelles possibilités de traitement des « données ». Un point de convergence des débats fut que, si l’on pouvait évoquer des données en termes informatiques (à savoir des informations triées), les informations elles-mêmes n’étaient pas de même nature, multipliant les occasions de biais et de fausses inférences.
On retiendra aussi, parmi tant d’autres, les travaux de Maria Mercanti-Guérin (IAE Paris-Sorbonne Business School), présentés lors d’un atelier, et ses recherches concernant l’effet de l’usage des informations personnelles sur les marques : à partir d’une étude empirique, la chercheuse montre en quoi l’image des marques est affectée par l’intrusion perçue par les internautes s’ils sont relancés après qu’ils ont navigué sur le site web de cette marque. Même si cette relance peut produire des effets à court terme, la perception des internautes invite à un usage acceptable pour le consommateur de ces techniques, y compris dans la perspective du maintien de la qualité de la marque[8]. On citera enfin les conclusions “perplexes” de Vincent Lefrere (IMT-BS), Grazia Cecere (IMT-BS) et Fabrice Le Guel (Université Paris Sud), sur la stratégie de monétisation des données personnelles concernant les applications mobiles. Leur étude montre que la concentration des opérateurs limite la circulation des données puisqu’il n’est pas besoin de tiers, alors même que cette concentration crée une situation qui n’est pas exempte de critiques du point de vue du droit de la concurrence[9].
Les contours d’une responsabilité numérique des entreprises : les deux avis de la plateforme RSE de France Stratégie
Lancée en 2013, la plateforme RSE de France Stratégie a publié un premier avis en juillet 2020 sur la responsabilité numérique des entreprises, assorti de trente-quatre recommandations adressées aux pouvoirs publics, aux entreprises, aux syndicats de salariés, aux chercheurs et aux acteurs de l’évaluation extra-financière des entreprises. Elle a poursuivi son travail et produit en mai 2021 un deuxième avis[10]. Les recommandations du premier rapport concernant les entreprises mettent en avant la vigilance et la transparence dont elles doivent faire preuve dans le traitement numérique des informations, avec par exemple la recommandation de former les dirigeants à ces traitements, à leurs enjeux et à leur cadre légal mais aussi de former les équipes en charges du numérique à repérer et corriger les biais que peut induire le traitement des informations par algorithmes[11].
Ces questions vont au-delà de la taille des informations collectées : elles concernent le mode de mise en relation des données avec l’intelligence artificielle ou encore le « deep learning ». De telles pratiques sont au cœur de l’activité des entreprises du numérique mais concernent aussi tous les secteurs économiques, au travers en particulier de la relation avec les clients ou les prospects sur les réseaux.
Je profite de cet article pour saluer chaleureusement les lecteurs de la lettre de la Chaire VP-IP. Après deux ans de collaboration dans une période ô combien inattendue et difficile, je la quitterai en effet fin août. Je resterai évidemment proche de ces questions dans le cadre du travail que je conduis depuis plus de quinze ans sur l’économie, la quantification et la technique, l’année 2021 ayant à cet égard été marquée pour moi par une nouvelle édition de mon premier ouvrage aux éditions Gallimard en collection Folio Essais[12].
Valérie Charolles, chercheure en philosophie à l’Institut Mines-Télécom Business School, membre de la Chaire Valeurs et Politiques des Informations personnelles, chercheure associée à l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (EHESS/CNRS)
[1] Association pour le Développement de l’Enseignement et de la Recherche sur la Responsabilité Sociale de l’Entreprise https://www.aderse.org/
[2] https://www.strategie.gouv.fr/reseau-france-strategie/plateforme-rse
[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:52011DC0681
[4] https://www.economie.gouv.fr/entreprises/responsabilite-societale-entreprises-rse#:~:text=La%20responsabilit%C3%A9%20soci%C3%A9tale%20des%20entreprises%20(RSE)%20%C3%A9galement%20appel%C3%A9e%20responsabilit%C3%A9%20sociale,leurs%20relations%20avec%20les%20parties
[5] Programme complet du Congrès : https://www.imt-bs.eu/wp-content/uploads/2021/05/ADERSE-2020-2021_PROGRAMME_VF.pdf
[6] Valérie Charolles, symposium introductif et atelier 5.2. « enjeux du traitement des data » (cf. programme).
[7] https://www.goodintech.org/?lng=fr
[8] Maria Mercanti-Guérin. The Improvement of Retargeting by Big Data: a Decision Support that Threatens the Brand Image?. European Journal of Marketing and Economics, EUSER, 2020, 3 (3), pp.49-59.
[9] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01988603
[10] Deuxième avis : https://www.strategie.gouv.fr/publications/responsabilite-numerique-entreprises-plateforme-rse-publie-un-deuxieme-avis-enjeux s
[11] Premier avis : https://www.strategie.gouv.fr/publications/responsabilite-numerique-entreprises-plateforme-rse-publie-un-premier-avis-lenjeu . J’ai été auditionnée en tant que membre de la Chaire pour cet avis.
[12] http://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio-essais/Le-liberalisme-contre-le-capitalisme