À l’heure où les bloqueurs de publicité sont utilisés par 36% des internautes français[1], il est primordial pour les éditeurs de contenus (Facebook, Twitter ou Lemonde.fr) de proposer une meilleure expérience à leurs utilisateurs. À l’aide d’algorithmes basés sur les informations des internautes, ceux-ci tentent d’affiner contenus et publicités et visent à proposer une meilleure qualité de visite en ligne. Les éditeurs espèrent ainsi convaincre les utilisateurs de désactiver leur bloqueur de publicité, ce qui leur permettrait d’éviter une perte de revenu publicitaire.
La personnalisation de notre expérience en ligne s’enrichit de nos précédentes visites. En surfant sur Internet, nous laissons des traces qui, une fois traitées par des algorithmes, permettent de comprendre nos préférences. Ces traces peuvent prendre une infinité de formes : elles peuvent être le résultat d’une simple visite de site sportif, d’un clic sur un produit qui nous intéresse ou du visionnage d’une vidéo.
Dans un article récent, Bounie, Dubus and Quinn (2017) constatent que certains éditeurs de contenus utilisent les traces des internautes pour comprendre leurs goûts, et plus spécifiquement leur sensibilité à la publicité. En effet, en analysant les comportements de navigation, il est possible d’inférer ces préférences, mais également la gêne ressentie à l'encontre de la publicité. Par exemple, en suivant le mouvement de la souris et la vitesse de déroulement, les éditeurs sont en capacité de comprendre qu’un utilisateur est gêné par le nombre de publicités présent sur la page d’un site.
L’expérience publicitaire peut alors être totalement personnalisée : le type et le nombre de publicités sont ajustés en fonction des préférences de l’internaute, l’incitant à prolonger sa visite sur le site grâce à une navigation plus adaptée.
Si ces algorithmes peuvent s’avérer très utiles pour accroître l’audience d’un site, la condition sine qua non reste qu’ils soient efficaces - c’est-à-dire qu’ils identifient effectivement les préférences de l'utilisateur. Une technologie conduisant à des erreurs d’identification de comportements risque de créer un environnement non adapté ce qui, dès lors, incitera l'utilisateur à fuir le site quant bien même il serait intéressé par le contenu proposé. La mise en place d’algorithmes dont la qualité n’est pas certaine peut donc se révéler contre-productive.
Il est alors intuitif d’expliquer en partie le grand nombre de bloqueurs de publicité (adbloker) sur Internet par l’utilisation d’une technologie de ciblage peu efficace ou immature. Cela s’avère d’autant plus pertinent que certains internautes sont aujourd’hui proactifs dans la gestion de leurs traces en ligne comme le montre l'enquête réalisée par la Chaire en association avec Médiamétrie en mars 2017[2], empêchant les algorithmes d'identifier correctement leurs préférences.
Dans ce cas, les éditeurs de contenus peuvent avoir intérêt à abandonner la technologie de suivi des utilisateurs sachant que cette dernière est coûteuse et que le manque de données la rend peu efficace.
Le blocage des publicités représente une perte considérable pour le financement des contenus en ligne[3]. Reconstruire la confiance entre internautes et éditeurs quant à l'utilisation des données personnelles à des fins de marketing est alors primordial pour définir les fondements d’une économie de l’internet pérenne.
Une solution consiste à bâtir une structure légale encadrant l’utilisation des traces par les algorithmes tout en respectant la vie privée des internautes. La consommation publicitaire serait ainsi adossée à une bonne expérience utilisateur et assurerait la survie de nombreux éditeurs de contenus.
Martin Quinn, doctorant en sciences économiques au sein de la Chaire, travaille sur le thème de la "Valorisation des traces des utilisateurs"
[1] Etude Ipsos 2016 pour IAB France
[2] Chaire Valeurs et Politiques des Informations Personnelles, Données personnelles et confiance : quelles stratégies pour les citoyens-consommateurs en 2017 ?, juin 2017. Egalement, Etude Ipsos 2016 pour IAB France
[3] Digiday UK, Uh-oh: Ad blocking forecast to cost $35 billion by 2020, June 7 2016