L’innovation par la contribution dans les industries culturelles numériques

Image : Pixabay.comLes contributions des utilisateurs sont aujourd’hui au centre de modèles d’affaires très lucratifs dans les industries culturelles. Plus que jamais, l’innovation passe par l’accaparation et la réinvention par les consommateurs. Nous étudions ici les différentes formes de contributions dans les industries culturelles numériques pour aborder la question du partage de la valeur dans l'écosystème des données.

Les produits culturels ont toujours rassemblé une base de consommateurs (« fan »). On retrouve cette notion dans l’industrie du jeu vidéo depuis les années 1990, où nombre de jeux étaient initialement des  « mods » (pour modification), des extensions de jeux plus anciens, développés par les utilisateurs. Ces produits dérivés ont eu une multitude d’effets positifs sur leurs originaux : un allongement de la durée de vie, une baisse des couts en R&D, une meilleure compréhension de la demande… Certains « mods », développant une identité très forte, se sont même externalisés, avec ou sans l’aide du studio d’origine, afin de conquérir leurs propres parts de marché, plus souvent compléments que concurrents du produit original.

La plateforme Steam, bâtie sur le succès de ce mode d’innovation, a ainsi mis en place un magasin en ligne qui permet aux joueurs de proposer leurs extensions à un certain prix (quand le jeu initial l’a autorisé). Cette monétisation est partagée entre studio de développement, contributeurs et plateforme. L’innovation par l’utilisateur est ainsi à l'origine de milliards d’euros dans l’industrie du jeu vidéo, stimulant des communautés autour d’évènements de « e-sport », dont les gains des joueurs peuvent dépasser ceux de Roland Garros. Ainsi, Twitch.tv, plateforme spécialisée dans le streaming live de parties de jeux vidéo, permet à chaque individu de s’illustrer dans sa propre partie, commenter une compétition, ou d’organiser la sienne retransmise en direct. Il est possible, une fois passé un seuil de souscripteurs, de monétiser sa production  de plusieurs manières (donation, publicités, sponsoring), répartie ensuite entre la plateforme et l’utilisateur. Les communautés autour du jeu vidéo étant très actives, des contributeurs phares attirent une multitude d’internautes, portant le nombre d’utilisateurs mensuels de Twitch.tv à plus de 45 millions. C’est sur ces chiffres qu’Amazon s’est basé pour racheter le service 970 millions de dollars en août 2014.

Les contributions par les utilisateurs s’insèrent petit à petit dans d’autres secteurs numériques. L’exemple d’Amazon KindleWorlds est l’un des plus pertinents. Le géant du livre propose sur sa plateforme numérique des univers sous licence aux fans qui, respectant  les exigences mises en place par les ayants droit, peuvent écrire des extensions de l’histoire originale et les vendre sur le site. La valeur économique créée par ces fan-fictions est partagée entre Amazon, les éditeurs et les contributeurs.

Un autre aspect de la contribution apparait sur le marché de la musique, celui-ci s’étant toujours penché sur la problématique de réutilisation et de déclinaison d’originaux. Si un auditeur décide de réaliser une variation à partir d’un morceau existant, il peut la commercialiser avec l’accord de l’artiste et partager les revenus issus de la vente avec celui-ci. Toutefois, si un « remix » répond au critère juridique de l’originalité, et que notamment il n’est plus possible de reconnaitre l’œuvre échantillonnée, la nouvelle œuvre pourra être diffusée sans aucune autorisation.

Un des acteurs qui a su le mieux monétiser les contributions de ses utilisateurs est évidemment Youtube. Hébergeant quantités de vidéos générées pas ses utilisateurs, la plateforme a su mettre en avant un système de partage des revenus entre les ayants droit et les producteurs-contributeurs. L'ayant droit peut ainsi bloquer, autoriser, ou demander la monétisation en invoquant son droit de propriété sur un des éléments de la vidéo produite. Grace à cette technologie, Google a reversé près de 1 milliard d’euros aux ayants droits des films/musiques utilisés depuis 2007, créant de fait une valeur considérable issue de la réutilisation des productions par les utilisateurs.

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Les contributions que nous venons de décrire font partie de la grande famille des traces numériques des internautes. Ces traces (dont l’étude est développée dans l’axe 3 de la Chaire), laissées volontairement ou non, sont monétisées par des plateformes se développant grâce à l’entretien du tissu social sur lequel elles évoluent. Ainsi les contributions dans les industries culturelles puisent leurs forces dans la stimulation des communautés et des fans. Similairement, les réseaux sociaux cultivent les liens entre les différents utilisateurs, afin d’inciter la contribution et le partage d’informations en tout genre sur leurs services. Or, il apparait aujourd’hui des usagers soucieux de protéger leurs vies privées, qui ne fournissent plus d’informations personnelles et commencent même à les retirer des plateformes, préférant se tourner vers des services plus protecteurs de leurs droits fondamentaux. La chaire Valeurs et Politiques des Informations Personnelles cherche à mieux comprendre ce qui pousse les utilisateurs de produits et services numériques à partager des informations personnelles. Elle analyse également les mécanismes économiques, juridiques et techniques à mettre en place pour que la valeur économique générée par les traces et contributions soit équitablement distribuée dans l'écosystème des données.

Martin Quinn
Doctorant en économie au sein de la Chaire Valeurs et Politiques des Informations Personnelles

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