Quel paradigme d’assurance à l’ére des objets connectés ?

Antoine Dubus, doctorant en sciences économiques au sein de la Chaire, travaille sur le thème "Protection des données personnelles et concurrence". Dans ce cadre, il s'intéresse plus précisément aux changements de modèles d'assurance face à l'exploitation des données relatives aux personnes.

En effet, les objets connectés s'installent dans chaque sphère d'activité. Les activités physiques et relatives à la santé sont quantifiées par des capteurs portables tels que les bracelets connectés ; les automobiles sont équipées pour mesurer les vitesses et accélérations des véhicules, ainsi que les itinéraires et les comportements des conducteurs ; et jusqu’aux maisons, où la domotique permet de mesurer précisément la présence des habitants et leur mode de vie. A cela s’ajoutent toutes les données collectées par les smartphones, allant de la localisation jusqu'au contenu des conversations.

Face à cet afflux d'informations personnelles, alors que les assurances traditionnelles se basent sur des modèles de mutualisation des risques, les nouveaux modèles  permettent d'identifier de plus en plus finement les comportements des individus, et prennent en compte la personnalisation croissante des risques. Plus précisément, le travail de recherche porte sur la question des impacts des objets connectés sur le marché des assurances, et des mesures que les régulateurs devraient adopter pour protéger les assurés dans un contexte fortement concurrentiel.

Impacts des informations personnelles sur le marché des assurances

Les économistes observent que les assurés ont tendance à ne pas se prémunir suffisamment contre les accidents. Si les assurances ont la possibilité, grâce aux objets connectés, d'observer les efforts des assurés afin de diminuer les risques, elles peuvent adapter leurs contrats et ainsi inciter les clients à la prudence. Cet effet est observable en particulier pour les assurances santé, où certains assureurs encouragent les assurés à adopter des pratiques de vie saine afin de minimiser l'apparition de certaines maladies. Par exemple, une assurance offre des coupons ou des ristournes si son client marche un certain nombre de pas par jour, et au contraire rajoute un malus dans le cas d'une activité physique trop faible.

Ces nouvelles possibilités ne sont pas sans soulever des questions d'ordre éthique. La capacité même d'identifier un risque précis associé à chaque client permet d'abandonner un modèle de mutualisation des risques au sein de la population et de proposer un système d'assurance hautement personnalisée. Cette approche peut dans certains cas se justifier, notamment lorsqu'une personne cause directement un accident. Elle pose cependant question en cas de risques déterministes à l'instar des prédominances de maladies génétiques dans certains groupes de la population. Par exemple, la drépanocytose a une prévalence forte chez les Afro-américains. Pour autant, cette caractéristique doit-elle être prise en compte dans le calcul du prix de l'assurance et si oui, de quelle façon ?

Un premier résultat de recherche met en évidence que les individus les plus susceptibles de subir un dommage peuvent se voir refuser une couverture, alors même qu'ils seraient assurés dans un cadre classique d'assurance, sans objet connecté.

Un second résultat est que la concurrence exacerbe l'exploitation des informations personnelles. Un assurance qui exploite des données comme la prévalence de la drépanocytose bénéficie d'un avantage concurrentiel et donc a d'autant plus intérêt à le faire lorsqu'il y a concurrence.

A cet effet s'ajoute les problèmes de transparence soulevés par l'utilisation des algorithmes (cf Lettre 6 de la Chaire). Ainsi, les méthodes de machine learning ne permettent pas d'anticiper les éventuels effets discriminatoires . De façon générale, quand bien même un algorithme serait audité, les effets discriminatoires qu'il peut avoir restent difficilement prévisibles.

Quelles pistes pour les régulateurs?

Dans ce contexte, les régulateurs font face à un choix de paradigme d'assurance : les risques doivent-ils être mutualisés ou, au contraire,  individualisés ? Et si les assurances sont personnalisées,  comment réguler le marché pour palier les problèmes éthiques qu'il engendre ?

Une solution consisterait à limiter la collecte des données personnelles, en fonction de leur nature afin d’éviter certains types de discriminations. Par exemple, interdire la collecte des données génétiques des individus, comme c’est le cas en France, empêche une discrimination basée sur des caractéristiques innées.  Mais nous constatons que certaines maladies, notamment la drépanocytose, associées à des données comme l'origine ethnique ou l'état de santé des membres d'une famille, sont facilement identifiables par des algorithmes. Dès lors, la régulation de l'usage d’une donnée particulière n’empêche pas d’inférer les mêmes informations par le biais d’autres  données, ce qui rend le contrôle d’autant plus complexe.

Une autre solution, souvent évoquée dans les débats, se base sur le partage de données entre assureurs. Cependant, cette solution risquerait d'entraîner des pratiques de collusion entre les assurances, et donc de nuire aux assurés.

Un troisième mode de régulation consisterait à limiter fortement les différences de traitements entre les individus. Si cette limitation permet d'éviter les trop fortes disparités liées à la personnalisation des assurances, elle ne mettrait pas fin pour autant aux problèmes éthiques qu'elle soulève.

Un dernier résultat de recherche met en évidence que l'information fournies aux consommateurs sur les pratiques bénéfiques ou à risques s'avère être un outil efficace pour modeler les contrats d'assurance, par exemple les assurances santé. En informant la population que, par exemple, marcher dix mille pas par jour diminue les risques de maladies cardio-vasculaires, un effet direct aurait lieu sur les contrats, au bénéfice des assurés.

 

Antoine Dubus, doctorant en sciences économiques au sein de la Chaire, travaille sur le thème de la "Protection des données personnelles et concurrence"

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